Publié le 25 novembre 2021
« Qu’est-ce que c’est un égoïste ? » demandait Jacques Martin a un enfant en pleurs. « C’est quelqu’un qui ne pense pas à moi », répondit-il innocemment… Cet extrait télévisé des années 80 qui a fait rire dans nombre de bêtisiers illustre parfaitement une sorte de paradoxe actuel que nous vivons depuis des années et qui voit son apothéose dans la crise sanitaire et sociale actuelle : l’incompréhension de ce qu’est l’altruisme dans une société profondément individualiste et narcissique.
Un des arguments majeurs à l’injonction à l’injection est l’altruisme. On se ferait injecter pour les autres pour leur bien et bien sûr pas pour son bénéfice propre. Je vous rassure, le problème n’est pas là, mais davantage dans la récupération qui est faite de cette assertion et qui colonise voire dans certains cas pollue bien des débats publics ou privés sur les injections immunisantes.
Laissez-moi vous raconter un épisode de ma vie personnelle qui m’est arrivé il y a de cela quelques semaines et qui m’a profondément marqué. Je discutais avec une amie qui m’interrogeait sur ma position personnelle vis-à-vis de l’injection : « Es-tu vacciné, toi ? » Je lui répondis qu’ayant analysé la balance bénéfice-risque et les risques particuliers que j’encourais personnellement, je préférais, pour l’instant, m’abstenir. Elle me répondit alors, avec peu d’égard pour ce que je venais de dire que j’étais un « égoïste ne prenant en compte que ma petite personne » et elle ajouta qu’elle s’était faite injecter « par altruisme pour les autres et pour la société en général ». Je remarquais alors une fermeture et la conversation se termina assez rapidement. Depuis je me suis rendu compte que cette personne ne souhaitait plus être en contact avec moi et je me suis même aperçu que j’avais été banni de ses contacts sur les réseaux dits sociaux.
Cet épisode m’a frappé d’effroi un certain temps et je fus triste de voir qu’une personne que j’appréciais coupe ainsi tous les ponts, en raison de mon « égoïsme primaire ». Je restais cependant mal à l’aise un certain temps car observant mes choix et mes raisons, je ne me sentais pas égoïste dans mon positionnement. J’avais un sentiment d’injustice flagrant n’ayant même pas eu l’occasion ni d’en discuter, ni de détailler les raisons personnelles qui guidaient mon choix.
Depuis lors, les débats médiatiques, politiques, publics ou privés font rage autour de ces injections. On voit de nombreuses personnes s’invectiver, se déchirer et l’accusation la plus courante est que les personnes non-vaccinées seraient des asociaux déviants refusant les règles et obligations de la vie en société. Derrière toutes ces invectives les thèmes de l’égoïsme et de l’injonction altruiste sont centraux. On voit de nombreuses personnes afficher fièrement leur statut vaccinal, y compris avec une, deux ou trois seringues sur leur profil social de réseau… On signale qu’on s’est fait inoculer, qu’on fait partie du camp altruiste, des citoyens responsables.
Mais le problème est bien là : cela ressemble plus à de la vertu ostentatoire (virtue signaling en Anglais) qu’à un véritable altruisme. On s’affirme de manière détournée. En informant qu’on a bien reçu le nombre de doses adéquate, on affirme en fait : « regardez comme moi, je suis quelqu’un de bien, quelqu’un de responsable et altruiste. » Pardonnez-moi d’y voir plutôt de l’égoïsme et de l’orgueil.
Loin de moi cependant l’envie de fustiger les personnes car j’y vois plutôt le signe de la dégénérescence narcissique de notre monde moderne ultra connecté où il faut exister, se prouver qu’on a une valeur, se montrer sous son meilleur jour. La société du selfie qui n’en finit pas de se regarder le nombril et de s’auto-satisfaire de son sort. Les gens sont dupés, croient exister dans le reflet d’eux-mêmes que leur renvoient les réseaux dits sociaux, la technologie médiatique et l’entrepreneuriat de soi. Ils comblent le néant de vies téléguidées par l’illusion d’un masque social surfait et hypocrite.
À la fin de cette dégénérescence entamée bien avant l’épidémie de coronavirus, se révèle la société dans laquelle nous vivons où l’image est plus importante que les actes, où le virtuel devient simulacre et où on reproche à distance aux autres ce que l’on n’ose pas accomplir soi-même. Les masques s’entrechoquent et génèrent pour l’heure de l’acrimonie et de l’exclusion et demain peut-être des phénomènes mimétiques de boucs émissaires.
Car au fond qu’est-ce que l’altruisme ? Demander à l’autre d’être altruiste, n’est-ce pas le comble de l’égoïsme ? Demander la réciprocité est-il un acte véritablement généreux ? Quand je crie sur les toits que je suis altruiste, ne suis-je pas au comble du narcissisme ? Et enfin, sans même le claironner, se considérer comme une personne altruiste n’est-il pas déjà un peu vaniteux ?
C’est le paradoxe : si je me crois altruiste, je ne le suis probablement pas, mais si je vois mon égoïsme honnêtement, je peux ouvrir la porte à l’humilité qui est la première étape de l’altruisme.
L’altruisme n’est pas tant un comportement ou une somme d’actes qu’une attitude fondamentale d’humilité et d’ouverture à l’autre. C’est avant tout une capacité d’écoute profonde et de compréhension de ce que vit l’autre, libre, autant que possible, de tous jugements et préjugés. C’est comprendre que si j’étais dans la situation de l’autre, avec la même histoire, la même éducation, le même environnement, j’agirais et je penserais probablement de la même manière. Il ne peut plus être ici question de ce qui serait juste ou vrai ou intelligent, mais de compréhension profonde et compatissante de ce que vit l’autre. C’est ça l’altruisme, et finalement peu importe les actes et les opinions de chacun.
Si je reviens à cette personne qui m’a jugé égoïste et que j’essaie de regarder les choses avec le plus de clarté et d’ouverture possible, je me dis que peut-être je suis un peu égoïste car je cherche à me préserver effectivement de l’inconnu engendré par les éventuels effets secondaires de ces injections qui me font peur. De l’autre côté, je vois le besoin de sécurité d’une personne certainement apeurée elle aussi par une autre forme d’inconnu qu’est l’incertitude de l’avenir, l’inconfort de ne pas être si forte et si assurée que cela. Et je comprends moi aussi que poussée dans ses retranchements par les mesures gouvernementales et voulant préserver une vie professionnelle et sociale, elle se soit faite injecter le sérum un peu contrainte et forcée. Ensuite, cette personne préfère se dire quelle avait de bonnes raisons de le faire, une forme de grandeur d’âme permettant de surmonter l’inconfort de cette décision un peu forcée. Je me trompe peut-être sur mon analyse, mais en tous cas j’essaie de comprendre et mes jugements et ma tristesse s’effacent. C’est finalement l’essentiel.
Alors, je me mets à rêver qu’au lieu de s’invectiver les uns les autres, égoïstement arc-boutés dans nos certitudes et nos jugements, nous rassurant dans l’illusion d’avoir raison et que les autres ont tort, que nous sommes altruistes et les autres égoïstes, nous nous écoutions profondément et humblement en cherchant non pas à répondre et argumenter mais à nous comprendre humblement, humainement.
Car au fond, le vacciné a raison de se croire altruiste, cela peut bien être une part plus ou moins importante de son choix, pour protéger ses proches, ses aînés. Le non-vacciné a aussi raison de se croire altruiste, par exemple en considérant qu’une société ne se compose pas uniquement des personnes vivantes mais aussi des morts et des personnes à venir et que la santé n’est pas plus importante que la liberté, le respect et l’harmonie. On peut être altruiste envers les personnes présentes et on peut être altruiste aussi en considérant que le nous ne sommes que de passage et que nous devons préserver ce qui nous a été légué pour les générations à venir. Personne ne claironnera : « moi j’ai fait mon choix, par pur égoïsme. »
Les deux positions s’entendent et se comprennent, et c’est la richesse de la nature humaine qui découle de cette diversité et je crois qu’elle doit être préservée dans la liberté et le respect de soi. Chacun a ses raisons et elles sont éminemment respectables et l’invective et le jugement à l’emporte-pièce ne convaincront personne de changer de camp. Comme dit très bien Thomas d’Asembourg : « Personne n’a envie d’être un con-vaincu… » En revanche, tout le monde a envie d’être respecté et accueilli dans sa singularité. La réconciliation, qui sera nécessaire quand cette crise sera derrière nous, passera par ce nécessaire effort altruiste d’écoute, de compréhension et d’accueil.
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