Publié le 5 février 2021
Le 25 janvier 2020, Greta Thunberg, lors d’une intervention devant le Forum Économique Mondial de Davos avait lancé ce cri aux dirigeants : “I want you to panic!” (je veux que vous paniquiez !), les exhortant à réagir à l’urgence climatique. Mais voulons-nous réellement des dirigeants qui paniquent, des dirigeants qui prennent leurs décisions dans l’urgence mus par un sentiment de peur ? Pendant quelques semaines, l’exhortation de Greta Thunberg avait fait le tour du monde et le mode panique semblait acceptable, devenait presque un nouveau mode de management de crise. Et puis la crise du coronavirus est passée par là et nous a montré les ravages de la panique comme mode de décision...
Toutes les sagesses ancestrales nous enseignent les vertus de la présence, de vivre davantage le moment présent, que ce soit, entre autres, le Carpe Diem des épicuriens, le hic et nunc de la philosophie antique ou les enseignements sur la pleine présence du Bouddha. Vivre au présent pour être heureux, libéré des remords d’un passé révolu ou des soucis de l’avenir.
Notre temps, ce temps de la postmodernité, est le temps de l’instant ou de l’instantanéité. Notre époque se caractérise par l’omniprésence du temps présent, de la réponse instantanée. Que ce soient les techniques de communication, les technologies au sens large, les nouveaux services personnels, les médias, tout nous incite à surfer sur une vague d’instants qui s’enchaînent. Le passé est révolu. On n’enseigne plus vraiment l’histoire, ou si on le fait c’est à l’aune des valeurs de l’instant. Le passé peut même finir par être annulé : on le voit chaque jour avec l’influence grandissante de la cancel culture venue d’Amérique. Le futur est soumis aux contraintes de l’instant, que ce soit en politique avec l’angoisse de la réélection qui pousse les politiciens à se soucier davantage de l’état présent des opinions qu’aux projets à long terme, que ce soit dans le monde économique gouverné par les résultats trimestriels ou que ce soit dans le monde médiatique qui vit de réactions à chaud sur l’actualité dans un zapping incessant d’un événement à l’autre. Nous vivons dans la civilisation du « tout, tout suite, maintenant ».
Certains seraient amenés alors à penser que vivant plus dans le présent, dans l’instant, nos sociétés et nous-mêmes avons acquis la sagesse des anciens. Et pourtant il n’en est rien. C’est même tout l’inverse.
J’appelle présentisme cette déviance de nos sociétés qui nous font vivre dans cette instantanéité sans fin, dans cette succession d’instants déconnectés les uns des autres, déracinés de ce que nous sommes dans nos parcours et dans notre histoire et qui ne nous laisse aucun répit pour réfléchir à un futur personnel, politique ou social souhaitables, nous laissant démunis avec une sensation tenace d’incapacité et d’impuissance.
L’Homme postmoderne tend à devenir cet individu sans passé ni avenir enfermé dans un éternel présent, enfermé dans ses habitudes tenaces, dans ses schémas de pensées et que seule la satisfaction morbide de plaisirs immédiats peut un tant soit peu apaiser. Cela engendre un sentiment de désespoir de manière habituelle et de panique dès que des événements complexes et inattendus viennent frapper la bulle confortable de l’Homme postmoderne.
Le “I want you to panic!” de Greta Thunberg est bien représentatif de notre temps ballotté entre des moments d’inconscience indolente et des moments de panique hystérique. Comme s’il n’existait pas d’autres modes d’êtres que ces deux extrêmes.
Personnellement, s’il y a une chose que je ne veux pas, face à une catastrophe, c’est d’être gouverné par des gens qui paniquent et qui sont prêts à faire n’importe quoi pour que leur panique cesse. Quand vous vous trouvez dans une salle d’opération, vous avez envie que le chirurgien reste calme en toute circonstance pour bien vous soigner.
Or, depuis le mois de mars 2020, nos dirigeants semblent pris, bon gré mal gré, dans une tourmente de peur panique et semblent prêts à prendre n’importe quelle décision, non pas pour résoudre les problèmes multiples auxquels nos sociétés sont confrontées, mais plutôt pour faire cesser ce sentiment de panique qui les gouverne. Quitte à prendre des décisions qui condamnent notre avenir…
Alors quelle est la différence entre le présentisme et la pleine présence ? Pour cela revenons aux enseignements du Bouddha. Son premier enseignement est celui sur Dukha. La racine sanskrite –kha signifie la roue, et du- signifie la périphérie. Dukha est ce sentiment d’être ballotté dans tous les sens, d’être entraîné sans fin dans une spirale générant mal-être, souffrance et dysharmonie. Le Bouddha nous enseigne donc que si nous souffrons, c’est parce que nous sommes décentrés, parce que nous vivons à la périphérie de nous-mêmes, orientés exclusivement vers l’extérieur de nous-mêmes. Nous vivons déracinés, exilés de nous-mêmes dans une bulle mentale elle-même ballottée par les vicissitudes de la vie. L’opposé de Dukha est Sukha. La racine –kha est la même, et su- signifie ici le centre, le moyeu de cette même roue. Sur un manège de fête foraine, si vous êtes sur l’extérieur de ce manège, vous serez irrémédiablement ballotés dans tous les sens, mais si vous vous dirigez vers son centre, dans la cabine de commandement du manège, alors le sentiment d’écœurement cesse et vous y trouvez une sorte de paix. L’enseignement du Bouddha nous invite donc à changer de position dans notre vie, à nous recentrer, à vivre au cœur de notre vie, enracinés en nous-mêmes, nous permettant d’envisager les choses avec calme et sans peur.
Lucrèce, dans son célèbre De natura rerum, nous invite à la même posture de sagesse. Dans son vers célèbre commençant par « Suave mari magno » (De Natura Rerum II, v. 1 à 33), il nous invite quand la tempête fait rage et que la mer est déchaînée, à nous réfugier sur la falaise. Il compare alors la philosophie à un temple solidement édifié qui peut nous épargner les vicissitudes de la vie comme la falaise nous épargne de la tempête.
La pleine présence n’est donc pas une immersion dans un éternel présent mais une incorporation en soi, un recentrage qui permet un apaisement pour retrouver clarté, lucidité et une forme de force tranquille, en ordre pour la décision et l’action. La méditation est alors l’entraînement roi qui nous permet de progressivement quitter la bulle du mental, la sur-sollicitation constante par les stimuli intérieurs et extérieurs qui nous exilent de notre état naturel de calme, de clarté, d’ouverture d’esprit et d’empathie.
La doctrine du « quoi qu’il en coûte » est l’exemple même d’un système présentiste incapable de transcender le présent. Penser que la fin puisse justifier les moyens est une erreur fondamentale de l’absence de philosophie de nos sociétés postmodernes. C’est une fuite en avant qui pour sauver des vies est prête à renoncer à tous les principes qui nous constituent et à compromettre durablement notre avenir. Ces principes qui nous constituent comme la démocratie et les libertés individuelles et collectives pourraient, à cause de la panique de nos gouvernants, disparaître à jamais. L’endettement à outrance, l’explosion du mal-être individuel et social pourraient bien nous enfoncer dans une spirale de pauvreté qui finira par nous priver des moyens de santé publique dont nous avons besoin.
La pleine présence, en remettant de l’ordre dans la considération des causes et des conditions, nous enseigne que ce n’est pas la fin qui justifie les moyens, mais bien les moyens qui engendrent la fin. Des moyens injustes, disharmonieux, dispendieux et autoritaires ne peuvent que générer une société d’injustice, de disharmonie, de pauvreté et de tyrannie.
Ces « doctrines » – mot lourd de sens, couramment utilisé par nos dirigeants – montrent la rigidité intellectuelle et la fermeture d’esprit de ceux qui nous gouvernent. Le style de communication et les modes de prises de décision dans l’urgence poussés par les événements nous montrent l’absence de recul, de sérénité et dans certains cas la panique qui les habite.
Nous ne voulons donc pas des dirigeants qui nous gouvernent qu’ils paniquent mais qu’ils retrouvent leur sérénité, leur enracinement et leur lucidité afin de prendre des décisions empreintes de clarté et de sagesse. Nous ne voulons pas que nos dirigeants demeurent enfermés dans la prison d’un présent mouvant mais qu’ils aient de la hauteur de vue, de la réflexion et qu’ils définissent un avenir souhaitable avec la clarté des moyens pour y parvenir.
Mais taper uniquement sur nos dirigeants serait faire preuve de facilité. Nous avons les dirigeants que nous méritons, que nous ayons voté pour eux ou non, car le problème est bien plus vaste. Ils ne sont pas les seuls à être pris dans ce présentisme et c’est parce que nous y sommes pris nous aussi, que nous en sommes là où nous en sommes. C’est parce que nous aussi nous demandons des résultats immédiats, parce que nous-mêmes nous nous prenons à paniquer, parce que nous n’acceptons plus les contrapositions[1] à nos désirs ou à nos aspirations que nous en sommes là. C’est parce que nous n’acceptons plus par exemple que le contraposé à la liberté c’est la responsabilité.
Nous ne sortirons de cette crise que si chacun d’entre nous fait l’effort de sortir du présentisme pour s’appliquer à la pleine présence, pour prendre le temps de se recentrer, de réfléchir et pourquoi pas de méditer. Sortir de la distraction à outrance, de la satisfaction immédiate de plaisirs personnels sera le seul moyen de sauver notre civilisation avant qu’elle n’entre en décadence terminale. C’est la vraie urgence.
Commençons ici et maintenant.
[1] En logique et en mathématiques, la contraposition est un type de raisonnement consistant à affirmer l'implication « si non B alors non A » à partir de l'implication « si A alors B ». L'implication « si non B alors non A » est appelée contraposée de « si A alors B ». Par exemple, la proposition contraposée de la proposition « Si je veux maigrir, il faut que je fasse un régime » est « si je ne fais pas de régime, je ne vais pas maigrir. ». Ici, l’idée que je veux introduire est notre tendance à vouloir les résultats sans s’atteler aux causes. Vouloir la liberté sans la responsabilité, vouloir le confort sans les efforts nécessaires pour l’obtenir, vouloir un service public fort sans les moyens nécessaires et donc sans l’impôt qui les financent. Ce refus des contrapositions de notre société complexe nous aveugle sur les conséquences de nos choix en matière sociétale, économique, écologique et politique. C’est bien parce que nous nous comportons en enfants gâtés et dépendants que nos gouvernements nous traitent comme ils le font… La maturité vient beaucoup de la considération des contrapositions de la vie.
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